Compléments - Septembre 2011

Comment intervenir sur les processus de conception et de fabrication pour valoriser les singularités du travail manuel, en vue de définir une production plus humaniste ?


Les projets de Max Lamb, comme sa DIY Chair ci-dessus à gauche sont proche de ma démarche, tout autant que la Rough and Ready à droite du studio Tord Boontje. Ces deux projets sont eux-mêmes dans la lignée de l’Autoprogettazione d’Enzo Mari.  Ils valorisent une production de l’objet par les utilisateurs eux-mêmes, qui remplacent alors les machines habituellement employées. Tel que le dit Tord Boontje lui-même, «La collection Rough and Ready comprend des meubles qui reflètent des situations urbaines. Elle est fabriquée à partir de matériaux qui ont été récupérés ou qui sont monnaie courante et bon marché. Les pièces, comme son nom l’indique, semblent rugueuses et prêtes à l’usage. Elles ont un sentiment d’inachevé, un sentiment que les choses pourraient changer. Ce sont des œuvres utilitaires, qui reconnaissent la beauté de l’imperfection et offre une alternative aux objets lisses. [...] Les constructions sont simples, celà rend possible à tout le monde de construire le sien» Les matériaux restent quelques peu austères, très bruts et pauvrement traités. Il ne me semble pourtant pas impossible de marier ce type de démarche à un produit fait de matières plus nobles, associé à une construction moins simpliste qui donne le sentiment d’un produit plus abouti. S’il on prend l’exemple de la DIY Chair, les tasseaux ont un aspect rugueux, ils semblent tout juste sorti de la débiteuse, sans travail de finition, présentant des découpes franches et anguleuses. Les vis d’assemblage sont apparentes nettement, les tasseaux sont juxtaposés et visser, sans que les liaisons ne soient retravaillées d’aucune manière. Ce sont des aspects qui changent la perception de l’objet par l’utilisateur.

Ces trois projets pris en exemple sont aussi peut-être trop discret quand à leur origine de production. On ne ressent plus vraiment que ce sont des produits auto-construits, sinon qu’ils paraissent manquer de finitions et de soins dans leur production en comparaison d’un même produit d’origine plus industrielle. Ils auraient peut-être pu montrer, en eux-mêmes, de façon plus explicite qu’ils ne relèvent pas d’une production sérielle mais d’un travail manuel, qui plus est de l’utilisateur lui-même. C’est parfois visible lorsque ce public s’approprie la construction et la modifie pour mieux correspondre à ses envies personnelles.

Y’aurait-il alors un moyen de rendre ce processus inévitable et constant ? Que se passe-t-il si les plans sont par exemple incomplets ? L’interprétation personnelle deviendrait-elle la norme ? N’y a-t-il pas possibilité d’exprimer ce principe d’auto-construction autrement que par la simplicité, qui dévie vers une pauvreté, en proposant des signes visibles qui se repèrent nettement sur l’objet ?

Placement du designer
Cette démarche de travail diffère de le pratique industrielle du métier de designer, ou la rentabilité est maître-mot, et les choix du designer restreints par la cohérence avec une chaîne économique. C’est à dire une logique de conception qui prend en compte en priorité le prix final du produit et la rentabilité de celui-ci, ou un ensemble d’étapes déterminant la capacité d’une organisation à obtenir un avantage concurrentiel. Il ne s’agirait plus de rentrer dans ce schéma où l’industrialisation et tous ses critères de choix détermine le produit, mais où c’est la qualité de conception, de fabrication et de finition qui prime, sans pour autant produire à perte. C’est la défense d’une production plus modeste, où le designer se positionne dans une démarche et un statut proche de l’artisan, qui lui produit de façon mécanique ou manuel, mais surtout qui suit les règles d’un art établi. Ce statut du designer lui permettrait également une meilleure appropriation de la matière qu’il envisage de pratiquer et de cerner, pour en tirer le meilleur parti. C’est en passant par la pratique manuelle que peuvent émerger des idées qui n’auraient jamais vues le jour par traitement informatique ou par raisonnement de rentabilité par exemple. Une machine de production industrielle n’est pour le moment pas capable d’imaginer. Elle ne prend pas de décision, elle s’applique à la tâche pour laquelle un homme l’a programmée. De ce point de vue, la capacité de l’homme à penser l’objet qu’il est en train de former de ses mains lui donne une large avance. L’homme peut faire évoluer son travail en fonction d’un certain aléatoire qu’il contrôle, en validant ou non des esquisses. Ce type de démarche est déjà exploitée entre autre par Max Lamb, à nouveau, mais sur son projet Nanocrystalline Copper Stool ci-dessous.


L’erreur comme source de créativité
Ce tabouret a nécessité pour sa fabrication pas moins de trois essais qui n’ont pas fonctionné. Même cette version finale du projet inclue des erreurs, au départ totalement involontaires -comme un incendie au-dessus de la cuve de nano-cristallisation du métal- mais qui finissent par rentrer dans la démarche de production du projet. Ce sont les essais et les erreurs cumulées qui forment petit à petit le dessin et l’aspect final du tabouret. Comme Max Lamb le dit lui-même, «le tabouret est exactement comme il devait être».
Le projet peut ne pas être dessiné ou même précisément imaginé avant de voir le jour, ce qui lui donne intrinsèquement un caractère unique valorisant, dans ses formes, son aspect ou ses finitions. C’est un gain de liberté et de créativité pour l’homme qui produit l’objet. Les mains sollicitent l’esprit et l’entraînent. La démarche qu’il me semble possible de conduire n’est pas celle d’un amateur, qui ne prend pas forcement en compte une tradition de savoir-faire et ne cherche pas à s’en revendiquer. Ma démarche de designer devrait être plus documentée. Il ne s’agit surtout pas de renier les savoirs accumulés depuis des générations dans tel ou tel domaine. Bien au contraire, ces savoirs sont des moteurs de création. Il est possible, sans une maîtrise totale et parfaite de chercher à imiter ces savoirs, de les observer et les expérimenter. On peut imaginer conduire tout un projet en tenant ces savoirs pour principaux responsables des choix à effectuer, pour des raisons techniques entre autres, et la dimension de démonstration d’une intelligence de ceux-ci, par exemple. Ce savoir peut être apporté par un artisan expert de celui-ci, pas forcement de la main du designer.

S’il on devait prendre pour exemple un simple plateau de table, la grande force des machines, par rapport à un travail manuel, semble être la facilité avec laquelle elle peuvent créer une surface parfaitement plane. Cette surface est largement justifiée, comme support lorsqu’il s’agit d’écrire proprement par exemple.  En revanche, lorsque ce plateau de table est fabriqué par la main du designer, avec toutes les imperfection que cela apporte,

Enjeux d’une production d’un designer qui fabrique à la main.
En partant du principe que le designer est un être humain, au même titre que les utilisateurs à qui il destine ses produits, il est possible pour le moment de laisser la question du «qui fabrique?» en suspens. Les deux acteurs ont pour point commun de se placer en tant que simple amateur devant une technique de production ou un savoir-faire dont pourrait déjà disposer un artisan dans son domaine. A la différence, le designer dispose d’un savoir en matière de conception.
D’un coté, l’utilisateur prend du plaisir et de la satisfaction à produire lui-même un objet. Il en est fier car ce sont ses mains qui l’ont fait. D’un autre point de vue, ce même utilisateur peut aussi trouver un objet plus attirant car il possède une histoire de fabrication particulière. L’exemple de Max Lamb qui produit lui-même le tabouret Pewter Stool ci-dessous nous le rappelle. Acquérir cet objet, c’est aussi se rendre compte du temps et de l’effort que le designer a dépensé dans sa production.

Le travail à la main regroupe plusieurs aspects. Pour commencer, la main apporte ce qui peut être vu comme du défaut, des erreurs. Au final, ces notions se regroupent sous l’idée de la maladresse, c’est à dire une incapacité à produire un geste idéalement rectiligne, ou un cercle parfait, ou parfaitement géométrique. C’est un de ces critères qui ont finalement fait naître l’industrie telle qu’on la connaît maintenant. Celle-ci évite justement ces imperfections qui peuvent pourtant apporter une richesse dans un projet. Là où Tord Boontje parle du défaut du matériau, de son imperfection, je choisirais plutôt de regarder les défauts qu’apporte la main dans son utilisation comme outil de production. La maladresse peut être exploitée comme telle, ou alors de manière exagérée, par une mise en place de processus de déstabilisation. Des mains liées non pas la même mobilité que si elle étaient libre, par exemple, ce qui peut générer une maladresse exacerbée, des défauts plus marqués et plus nombreux, mettant en valeur l’aspect manuel du projet. Dans ce cas, ces valeurs seraient l’imperfection, les gestes imprécis.
Dans un registre similaire, le travail à la main apporte des variations qui ne sont pas contrôlée. C’est l’incapacité humaine de produire un geste et de le répéter parfaitement à l’identique. C’est l’essence du caractère unique d’un produit réalisé à la main.
Ces caractéristiques de maladresse et d’imperfection sont rejetée de notre monde pour la grande majorité des objets. On retrouve ce même rejet dans tous les pans de notre société, depuis les modes et les styles vestimentaires jusqu’au corps humain lui-même en passant par l’architecture ou le graphisme. Tout ce qui nous entoure est comme aseptisé et dépouillé de ces défauts. Ils peuvent pourtant aider à définir un caractère particulier, une singularité à un objet, le rendant finalement plus attractif qu’un équivalent dit parfait, qui serait normalisé. Ces maladresses, ces variations ou le degré de précision propre à la main qui travaille peuvent servir à développer des usages différents de la fonction première recherchée, qui la complète ou la modifie.