Point de départ


Les valeurs négatives de la production en série.
S’il est un domaine d’histoire économique et sociale qui a suscité de nombreuses études, c’est bien la production en série. C’est un processus utilisé en industrie qui à son arrivée bouleverse les techniques de production : le système artisanal, manuel, de production, dans des lieux dispersés, est remplacé par une production recourant de plus en plus à une énergie provenant de machines, production en grandes séries, centralisée, utilisant des normes ou standards afin d’obtenir des produits d’une qualité homogène. Le passage d’un travail domestique à un travail de plus en plus spécialisé change radicalement les modes de vies.
D’abord très bénéfique pour l’économie générale, le système trouve néanmoins ses failles. On note deux grandes catégories dans lesquelles les problèmes sont majeurs. Il y a un aspect humain, des enjeux politiques et sociaux, et un impact sur le produit industrialisé lui-même.

Les conditions humaines du travail pour la série
Humainement, le statut des ouvriers est pauvre, où l’enrichissement personnel est inexistant ou presque, le travail à accomplir ne demandant d’ailleurs pas de qualification spécifique. Le savoir-faire des ouvriers est très limité.  C’est une totale dévalorisation de l’homme par rapport à la machine et à son travail, sans erreurs, avec un rythme effréné.

Pour Adam Smith , « [l’ouvrier devient] aussi stupide et ignorant qu’il soit possible à une créature humaine. » (sic.)

On assiste à une usure nerveuse des travailleurs dans la production en série, qui est due à la nature rébarbative et déprimante des tâches à accomplir. Cette organisation du travail pose aussi le problème d’une séparation du travail de conception et du travail de production. C’est en partie ce qui fait la condition des ouvriers. Comme le suggère la division verticale du travail selon Taylor, l’ouvrier ne doit pas avoir à penser à ce qu’il est en train d’accomplir. Il doit obtenir le statut de l’homme-machine.

On note également que ces ouvriers n’obtiennent jamais une pleine satisfaction de l’accomplissement de leur travail puisqu’ils n’ont jamais le sentiment d’avoir fini un produit. Il n’en ont fait qu’une partie, souvent infime.
Cette séparation entre conception et production est en partie responsable de cette «sutpidité» et de cette ignorance sur l’objet.

Les produits standardisés en 2011 et leur adaptation à leur contexte

Le standard, autrement dit, la norme de production d’un produit est d’abord un atout. Il autorise des productions en plus grandes quantités qui réduisent les coûts de production, permettant donc d’augmenter les salaires, et de consommer ces produits à faible coût. C’est tout un cercle vertueux économique. La standardisation permet aussi des échanges facilités en terme de compétence comme de produits. Des pièces standardisées d’une mécanique par exemple sont plus facilement remplaçables, car elle s’adaptent toutes sur un même modèle. Ces normes peuvent aussi permettre, en théorie, une acceptation des produits par le plus grand nombre. Or cette normalisation se révèle surtout être un frein à la diversité des objets, et entraîne malgré elle une perte en qualité. Moins de soins sont apportés à certains objets, pour optimiser une production rapide. Des produits de qualités peuvent néanmoins sortir d’une production en série. Des entreprises qui ciblent le marché du luxe par exemple peuvent tout aussi bien faire appel à ce mode de production. Mais même si des efforts peuvent être faits dans ce sens, il n’en demeure pas moins que ces produits, tant luxueux qu’ils sont, restent identiques entre eux.

Le standard remis en cause
On peut identifier une préoccupation grandissante généralisée dans le design européen. Elle requestionne le statut des industries de production de masse dans ces pays occidentaux développés. Cette position récente  pour les designers était par exemple visible à la biennale internationale de design Saint-étiennne de 2010, en particulier lors d’une exposition dont le titre évocateur 15 Designers 15 Artisans laissait paraître une collaboration entre les deux corps de métier. Il ressortait une volonté d’un certain retour vers l’artisanat et vers une production plus locale, en opposition au système de mondialisation excessive.

Erreurs volontaires pour de l’unique dans la série

Avant eux, plusieurs designers avaient déjà soulevé la question, comme le célèbre Gaetano Pesce. Il a travaillé avec la conviction qu’il faut mettre une halte à la standardisation. Il incorpore donc dans ses projets des notions d’erreur volontaire, pour produire de l’unique dans la série.


Un autre aspect nous ramène à un essoufflement de la production sérielle pour tous nos objets. C’est une envie qui revient dans l’actualité d’avoir des possibilités d’appropriation de ces derniers. Ce phénomène est porté dans les modes de vie contemporains par une volonté de se distinguer en tant que personne, de sortir des masses anonymes. Il y a aussi des émergences de retour à des communautés plus restreintes, qui concentrent moins de population.

Une dimension sociale importante
Il est important de comprendre que ces réflexions sur l’objet et sur les processus qui vise à les produire ont pour sujet la place de l’homme et la relation qui va s’établir en lui et son environnement. Peut-être faut-il amener une valorisation du fabricant, des mains qui produisent, au même titre que le concepteur est valorisé. C’est un concept qui donnera alors une conscience de l’individu au sein d’une communauté.


Lire le processus de production manuelle

La lecture du processus d’une production doit permettre de donner des signes visibles de l’outil de production. Ici, il s’agit de la main ou de l’outil manuel, de manière à exclure la machine, principale ressource de production de l’industrie de masse. Ce rapport à  la main du designer permet ainsi à l’usager de projeter une gestuelle, une action du créateur, qui amène la compréhension de sa démarche, et donc de mieux pouvoir apprécier l’objet.

La main est un outil
La main en tant qu’outil est évoquée dans Les parties des Animaux, un texte d’Aristote. «La main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C’est donc à l’être capable d’acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l’outil de loin le plus utile, la main.» Il faut peut-être en déduire que la main peut véritablement être le principal, voire l’unique outil qui produit un objet.

Des relations intimes Homme/Objet
Ces relations qui s’entretiennent entre les hommes et leurs objets définissent donc un attachement ou une attraction que l’on peut avoir pour tel ou tel objet. Pour Serge Tisseron, psychanalyste contemporain, « c’est à travers les relations aux objets qui nous entourent que nous intériorisons des manières d’être et de faire. » Cela exprime bien que les objets, et par extension leur aspect, ici ramené à leurs mises en œuvre nous incite à définir nos schémas de pensée. Un objet qui nous apparaît comme mystérieux, qui reste opaque sur son principe de fonctionnement le rend moins attirant qu’un même produit dont on comprend instinctivement la fonction et le fonctionnement.

Une harmonie entre les hommes et leurs objets
Cette lisibilité du processus et des moyens mis en œuvre a pour objectif d’harmoniser les objets qui nous entoure avec notre nature humaine. Cela passe par une certaine correspondance des formes, qui  ramène à une opposition entre l’organique de l’homme vivant et la mécanique de la machine. On distingue des notions de souplesse, de finesse et de rondeurs naturelles pour la main qui s’opposent à l’alignement parfait, la rigueur sans failles des machines. L’harmonisation des objets avec l’environnement passe aussi par une question d’échelle, adaptée à la taille des hommes et une question d’ergonomie. Une bonne adaptabilité des formes de nos objets avec les formes du corps qui amènent une meilleur préhension de ceux-ci, une relation directe qui s’établit : un dialogue s’installe.

L’erreur est humaine, l’erreur est objet

Ramener l’objet proche de la nature de l’humain, c’est aussi lui attribué un facteur propre à l’homme, lequel, comme le dit l’adage attribué à Cicéron, accepte l’erreur. « Errare humanum est, perseverare diabolicum », l’erreur est humaine, persévérer est diabolique. Les objets peuvent donc comporter des erreurs, et c’est même une composante qui permet de dire qu’un objet est plus humain. L’utilisation de l’erreur peut être volontaire, engagée, et surtout acceptée. C’est par cette acceptation que l’on peut obtenir un rapport plus intime avec l’objet.

Appropriation des objets
La lecture du processus de conception et/ou de fabrication doit aussi permettre une meilleure appropriation de l’objet qui est fondée par la question de l’usage. Le fait de pratiquer les objets, non pas seulement les admirer, amène une expérience au-delà de l’objet lui-même. Il porte en lui un usage, et c’est alors cet usage auquel l’objet ramène, pas seulement sa forme. Outre un usage, l’objet peut aussi, par la visibilité du processus de production, faire un rappel à l’histoire de cette fabrication. C’est un enrichissement du discours du produit de ses qualités narratives, qui amène à l’usager une affection non plus seulement pour la forme finale, mais aussi pour cette histoire.

Enzo Mari est un de ces designers qui se sont déjà questionnés sur le principe de standardisation des produits dans l’industrie de masse et les processus de production. C’est visible à travers son projet Proposta per autoprogettazione ci-dessous Ce projet, conduit par Enzo Mari, exposé pour la première fois en 1974, à la Galleria Milano, est un véritable manifeste visant à révolutionner le monde de la distribution.
Il proposait de donner aux particuliers un accès direct aux plans constructifs d’une série de meubles facilement réalisables par tout un chacun, à l’aide de planches standard et de matériel de bricolage usuel (marteau, scie, clous et colle). Ces plans, distribués gratuitement pendant l’exposition, furent ensuite réunis sous forme de livre.
C’est ce rapprochement entre conception et production qui donne de l’intelligence d’une part au produit et d’autre part à celui qui le pratique.

«J’ai pensé que si les gens étaient encouragés à construire de leurs mains une table, ils étaient plus à même de comprendre la pensée cachée derrière celle-ci.» Enzo Mari.


Les valeurs et qualités de la main
Loin d’être précurseur dans ce domaine, je peux m’appuyer pour mettre en avant les qualités du travail manuel sur tout un pan de l’histoire des Arts et du design, le mouvement des Arts & Crafts né en Angleterre dans les années 1860 et qui se développera durant les années 1880 à 1910. Ce mouvement représente une école de pensée qui allait permettre aux architectes en premier lieu, puis aux artistes et enfin aux designers du XIXe siècle de se positionner face aux impératifs d’une révolution industrielle pas toujours scrupuleuse face à l’intégrité artistique.

Il faut dire que la mécanisation des processus de production (bien avant l’apparition des chaînes de montage, même si elles sont aujourd’hui également prises en compte) a entraîné la perte de l’apprentissage des métiers d’art.

William Morris, qui fut certainement le principal instigateur du mouvement, était un fabriquant de meubles et d’objets d’art qui décida de s’associer à une véritable confrérie d’artisans afin de mettre en production des artefacts qui redonnaient aux métiers d’art, manuels, une place de choix.
La grande idée était que l’art devait intervenir partout, en premier lieu dans la maison pour d’abord retravailler les objets usuels : vaisselle, argenterie, reliure, tapis, luminaires...idée fondatrice du design au sens contemporain. Les créations étaient réalisées soit sur commande en pièce unique, soit en petite série, diffusées dans les catalogues des magasins londoniens.
L’Arts & Crafts a été le premier à rapprocher les Beaux-Arts des arts appliqués mettant en avant le matériau,  la simplicité voire le dépouillement.
Ajourd’hui, ce schéma de pensée peut peut-être retrouvé une place plus légitime, en partie depuis que la mondialisation en exces est passé dans l’actualité et continu d’être remise en question.

D’autres exemples permettent de valorisé un travail à la main, et surtotu de repérer les différences qui s’opèrent entre travail manuel et travail mécanisé. Mrianne Brandt conçoit une théière (ci-dessus) en argent en 1924 vouée initialement à la production de masse, bien qu’elle soit entièrement fabriquée à la main en premier lieu. On repère facilement la présence de défault dans la version main tandis que la version industrialisée est rigoureusement parfaite dans la finition des formes et des assemblages.

Les économies qu’apportent la main
Les qualités de la main passent aussi par un principe d’économie générale. Elle comprend surtout une économie de moyens mais fait aussi appel à une économie des matériaux, des outils de production ou encore des formes dessinées. Cette économie apporte un impact environnemental réduit, et en parallèle un impact économique, entre autre sur le prix de vente du produit final.

Les sensibilités de la main

Travailler à la main apporte encore des notions de sensibilité, pas seulement imagée mais également tactile. Les projets sont plus aptes à évoquer une certaine sensualité, un véritable plaisir au toucher. Ce plaisir se partage aussi avec les yeux, dans le sens où un objet qui prend des caractéristique du travail à la main peut parraître plus agréable à regarder qu’un produit de la grande industrie.
La main, outil formidable dont dispose l’espèce humaine est douée d’une extraordinaire mobilité. Il n’y a pas d’outil plus maniable que ses propres mains, tout en souplesse et en finesse. Ajouté à la prouesse de l’outil, un savoir-faire inimitable par les machines, la main agit sur la matière en acceptant l’imperfection, les erreurs qui font d’un produit qu’il semble plus humain. 


Une même fonction mais des enjeux différents
Pour bien comprendre ce qui semble poser problème dans les productions d’aujourd’hui, il apparaît nécessaire de faire ressortir les différences entre des objets, dont la fonction est identique mais dont les modes de production diffèrent. Nous prendrons le cas d’un simple bol, un contenant basique dont la fonction est évidente pour tous, car c’est un objet quotidien universellement répandu. Les comparaisons se font entre un produit d’un artisan, face au même produit issu de l’industrie, et enfin un produit qui a fait l’objet d’un partenariat entre un designer, un artisan et une industrie.

Pour le cas de l’artisan, c’est le travail de Kaolin’e (à gauche)que nous regarderons, une céramiste qui produit à la main car cette manière de travailler est pour elle une véritable passion. Elle base ses recherches sur l’épaisseur et la translucidité de la matière. C’est par l’expérience qu’elle fait ses produits. L’expérience est à entendre comme une phase de recherche, l’expérimentation, mais aussi comme le cumule de savoirs autour de sa matière. Elle réalise des petites séries, qu’elle vend en éditions limitées numérotées. Chaque pièce, malgré son appartenance à une série, devient unique. Mais si les bols sont parfaitement fonctionnels, c’est avant tout une recherche d’esthétique de l’objet qui compose son travail.

Dans le cas de l’industrie, nous prendrons un exemple extrême, celui de la production chinoise représentée par l’entreprise Happy Dragon Ceramic (au centre). Dans cet exemple, les produits sont épurés, avec un design simplifié à l’extrême, en vue d’augmenter les cadences de production. Les objets en sont appauvris, perdent en subtilité formelle et matérielle. Ils ne communiquent absolument pas sur leur fabrication, le processus de production est invisible. Les seules informations dont on dispose pour faire le choix d’acheter ce produit sont ses dimensions et son prix. Aucune autre valeur n’est apportée que celle du coût de la matière et des moyens mis en œuvre pour produire cet objet.

Enfin, quand une relation d’échange se crée entre designer et artisan, ou designer et industrie, voire les trois ensemble, les objets gagnent en intention. Rikke Jakobsen (à droite) fournit un bon exemple du rôle du designer dans ce dernier cas. Elle travaille de manière à intégrer sa vision du savoir-faire artisanal et de la qualité avec ses créations personnelles dans une gamme de produits manufacturés. Elle contrôle toutes les étapes du processus, de la conception et création du prototype initial jusqu’au produit fini.

Des champs créatifs
Peut-il être judicieux de s’intéresser à des matériaux dont l’acquisition elle-même peut être manuelle ? Ce sont des matériaux comme le sel, le grain de café, la terre ou encore les métaux, cette liste n’étant pas exhaustive. Si certains de ces matériaux sont perçus comme relevant du domaine de l’alimentaire, l’idée est ici de pouvoir les réinjecter dans une production en tant que matière première.

La question de l’appropriation passe aussi par la désignation des mains dont il est question. Celles-ci peuvent être celles du concepteur de l’objet, le designer, ou bien celle de fabricants qui amènent un savoir-faire. Peut-être encore seraient-elles anonymes, celles de l’usager ?
Une autre piste m’amène à penser que l’objet produit est peut être mieux compris dans son contexte s’il devient un contenant destiné  justement à des matières qui se récoltent à la main ? D’un produit fait à la main, on améliore une pratique qui elle aussi passe par cet outil singulier.

Ces deux pistes n’excluent pour aucune des deux une méthodologie qui passe par l’expérimentation et la production manuelle. Les applications de ces pistes pourraient alors s’orienter vers une typologie d’objets tactiles, qui relèvent de l’usage avec la main. En plus de cette notion de toucher, de jeu avec un sens humain, il peut sembler pertinent de proposer des objets quotidiens qui relèvent de la sphère privée, de l’intérieur domestique par exemple, pour instaurer une véritable relation d’intimité entre l’objet et son usager. Un autre critère semble approprié qui serait de requestionner les objets qui sont habituellement produits en série, par des processus purement industriels. On peut même pousser l’idée jusqu’à essayer de produire des objets manuellement alors que l’on ne semble plus capable de la faire aujourd’hui, soit parce que la technique semble inabordable par la main, soit parce que les conventions établies autour de ce produit font que l’on ne voit pas ou plus comment le faire autrement, en partie pour des raisons économiques.

Sources
www.hpceramics.com
www.kaoline.org
www.rikkejakobsen.com

TISSERON Serge, Comment l’esprit vient aux objets, Paris, Éd. Aubier Montaigne, 1999.
ARISTOTE, Les parties des Animaux, ~ -350 av. J.-C.
SMITH, La richesse des nations, Courcelle-Seneuil -Guillaumin, Paris, 1888.
FOCILLON Henri, Éloge de la main
(1934), in Vie des formes, suivi de Éloge de la main, Paris, Presses Universitaires de
France, 1943. 7e édition, 1981

Compléments - Septembre 2011

Comment intervenir sur les processus de conception et de fabrication pour valoriser les singularités du travail manuel, en vue de définir une production plus humaniste ?


Les projets de Max Lamb, comme sa DIY Chair ci-dessus à gauche sont proche de ma démarche, tout autant que la Rough and Ready à droite du studio Tord Boontje. Ces deux projets sont eux-mêmes dans la lignée de l’Autoprogettazione d’Enzo Mari.  Ils valorisent une production de l’objet par les utilisateurs eux-mêmes, qui remplacent alors les machines habituellement employées. Tel que le dit Tord Boontje lui-même, «La collection Rough and Ready comprend des meubles qui reflètent des situations urbaines. Elle est fabriquée à partir de matériaux qui ont été récupérés ou qui sont monnaie courante et bon marché. Les pièces, comme son nom l’indique, semblent rugueuses et prêtes à l’usage. Elles ont un sentiment d’inachevé, un sentiment que les choses pourraient changer. Ce sont des œuvres utilitaires, qui reconnaissent la beauté de l’imperfection et offre une alternative aux objets lisses. [...] Les constructions sont simples, celà rend possible à tout le monde de construire le sien» Les matériaux restent quelques peu austères, très bruts et pauvrement traités. Il ne me semble pourtant pas impossible de marier ce type de démarche à un produit fait de matières plus nobles, associé à une construction moins simpliste qui donne le sentiment d’un produit plus abouti. S’il on prend l’exemple de la DIY Chair, les tasseaux ont un aspect rugueux, ils semblent tout juste sorti de la débiteuse, sans travail de finition, présentant des découpes franches et anguleuses. Les vis d’assemblage sont apparentes nettement, les tasseaux sont juxtaposés et visser, sans que les liaisons ne soient retravaillées d’aucune manière. Ce sont des aspects qui changent la perception de l’objet par l’utilisateur.

Ces trois projets pris en exemple sont aussi peut-être trop discret quand à leur origine de production. On ne ressent plus vraiment que ce sont des produits auto-construits, sinon qu’ils paraissent manquer de finitions et de soins dans leur production en comparaison d’un même produit d’origine plus industrielle. Ils auraient peut-être pu montrer, en eux-mêmes, de façon plus explicite qu’ils ne relèvent pas d’une production sérielle mais d’un travail manuel, qui plus est de l’utilisateur lui-même. C’est parfois visible lorsque ce public s’approprie la construction et la modifie pour mieux correspondre à ses envies personnelles.

Y’aurait-il alors un moyen de rendre ce processus inévitable et constant ? Que se passe-t-il si les plans sont par exemple incomplets ? L’interprétation personnelle deviendrait-elle la norme ? N’y a-t-il pas possibilité d’exprimer ce principe d’auto-construction autrement que par la simplicité, qui dévie vers une pauvreté, en proposant des signes visibles qui se repèrent nettement sur l’objet ?

Placement du designer
Cette démarche de travail diffère de le pratique industrielle du métier de designer, ou la rentabilité est maître-mot, et les choix du designer restreints par la cohérence avec une chaîne économique. C’est à dire une logique de conception qui prend en compte en priorité le prix final du produit et la rentabilité de celui-ci, ou un ensemble d’étapes déterminant la capacité d’une organisation à obtenir un avantage concurrentiel. Il ne s’agirait plus de rentrer dans ce schéma où l’industrialisation et tous ses critères de choix détermine le produit, mais où c’est la qualité de conception, de fabrication et de finition qui prime, sans pour autant produire à perte. C’est la défense d’une production plus modeste, où le designer se positionne dans une démarche et un statut proche de l’artisan, qui lui produit de façon mécanique ou manuel, mais surtout qui suit les règles d’un art établi. Ce statut du designer lui permettrait également une meilleure appropriation de la matière qu’il envisage de pratiquer et de cerner, pour en tirer le meilleur parti. C’est en passant par la pratique manuelle que peuvent émerger des idées qui n’auraient jamais vues le jour par traitement informatique ou par raisonnement de rentabilité par exemple. Une machine de production industrielle n’est pour le moment pas capable d’imaginer. Elle ne prend pas de décision, elle s’applique à la tâche pour laquelle un homme l’a programmée. De ce point de vue, la capacité de l’homme à penser l’objet qu’il est en train de former de ses mains lui donne une large avance. L’homme peut faire évoluer son travail en fonction d’un certain aléatoire qu’il contrôle, en validant ou non des esquisses. Ce type de démarche est déjà exploitée entre autre par Max Lamb, à nouveau, mais sur son projet Nanocrystalline Copper Stool ci-dessous.


L’erreur comme source de créativité
Ce tabouret a nécessité pour sa fabrication pas moins de trois essais qui n’ont pas fonctionné. Même cette version finale du projet inclue des erreurs, au départ totalement involontaires -comme un incendie au-dessus de la cuve de nano-cristallisation du métal- mais qui finissent par rentrer dans la démarche de production du projet. Ce sont les essais et les erreurs cumulées qui forment petit à petit le dessin et l’aspect final du tabouret. Comme Max Lamb le dit lui-même, «le tabouret est exactement comme il devait être».
Le projet peut ne pas être dessiné ou même précisément imaginé avant de voir le jour, ce qui lui donne intrinsèquement un caractère unique valorisant, dans ses formes, son aspect ou ses finitions. C’est un gain de liberté et de créativité pour l’homme qui produit l’objet. Les mains sollicitent l’esprit et l’entraînent. La démarche qu’il me semble possible de conduire n’est pas celle d’un amateur, qui ne prend pas forcement en compte une tradition de savoir-faire et ne cherche pas à s’en revendiquer. Ma démarche de designer devrait être plus documentée. Il ne s’agit surtout pas de renier les savoirs accumulés depuis des générations dans tel ou tel domaine. Bien au contraire, ces savoirs sont des moteurs de création. Il est possible, sans une maîtrise totale et parfaite de chercher à imiter ces savoirs, de les observer et les expérimenter. On peut imaginer conduire tout un projet en tenant ces savoirs pour principaux responsables des choix à effectuer, pour des raisons techniques entre autres, et la dimension de démonstration d’une intelligence de ceux-ci, par exemple. Ce savoir peut être apporté par un artisan expert de celui-ci, pas forcement de la main du designer.

S’il on devait prendre pour exemple un simple plateau de table, la grande force des machines, par rapport à un travail manuel, semble être la facilité avec laquelle elle peuvent créer une surface parfaitement plane. Cette surface est largement justifiée, comme support lorsqu’il s’agit d’écrire proprement par exemple.  En revanche, lorsque ce plateau de table est fabriqué par la main du designer, avec toutes les imperfection que cela apporte,

Enjeux d’une production d’un designer qui fabrique à la main.
En partant du principe que le designer est un être humain, au même titre que les utilisateurs à qui il destine ses produits, il est possible pour le moment de laisser la question du «qui fabrique?» en suspens. Les deux acteurs ont pour point commun de se placer en tant que simple amateur devant une technique de production ou un savoir-faire dont pourrait déjà disposer un artisan dans son domaine. A la différence, le designer dispose d’un savoir en matière de conception.
D’un coté, l’utilisateur prend du plaisir et de la satisfaction à produire lui-même un objet. Il en est fier car ce sont ses mains qui l’ont fait. D’un autre point de vue, ce même utilisateur peut aussi trouver un objet plus attirant car il possède une histoire de fabrication particulière. L’exemple de Max Lamb qui produit lui-même le tabouret Pewter Stool ci-dessous nous le rappelle. Acquérir cet objet, c’est aussi se rendre compte du temps et de l’effort que le designer a dépensé dans sa production.

Le travail à la main regroupe plusieurs aspects. Pour commencer, la main apporte ce qui peut être vu comme du défaut, des erreurs. Au final, ces notions se regroupent sous l’idée de la maladresse, c’est à dire une incapacité à produire un geste idéalement rectiligne, ou un cercle parfait, ou parfaitement géométrique. C’est un de ces critères qui ont finalement fait naître l’industrie telle qu’on la connaît maintenant. Celle-ci évite justement ces imperfections qui peuvent pourtant apporter une richesse dans un projet. Là où Tord Boontje parle du défaut du matériau, de son imperfection, je choisirais plutôt de regarder les défauts qu’apporte la main dans son utilisation comme outil de production. La maladresse peut être exploitée comme telle, ou alors de manière exagérée, par une mise en place de processus de déstabilisation. Des mains liées non pas la même mobilité que si elle étaient libre, par exemple, ce qui peut générer une maladresse exacerbée, des défauts plus marqués et plus nombreux, mettant en valeur l’aspect manuel du projet. Dans ce cas, ces valeurs seraient l’imperfection, les gestes imprécis.
Dans un registre similaire, le travail à la main apporte des variations qui ne sont pas contrôlée. C’est l’incapacité humaine de produire un geste et de le répéter parfaitement à l’identique. C’est l’essence du caractère unique d’un produit réalisé à la main.
Ces caractéristiques de maladresse et d’imperfection sont rejetée de notre monde pour la grande majorité des objets. On retrouve ce même rejet dans tous les pans de notre société, depuis les modes et les styles vestimentaires jusqu’au corps humain lui-même en passant par l’architecture ou le graphisme. Tout ce qui nous entoure est comme aseptisé et dépouillé de ces défauts. Ils peuvent pourtant aider à définir un caractère particulier, une singularité à un objet, le rendant finalement plus attractif qu’un équivalent dit parfait, qui serait normalisé. Ces maladresses, ces variations ou le degré de précision propre à la main qui travaille peuvent servir à développer des usages différents de la fonction première recherchée, qui la complète ou la modifie.

Présentation des pistes de recherches

Un autre affichage a été proposé.

Comment intervenir sur les processus de conception et de fabrication pour valoriser les qualités du travail manuel en vue de définir une production plus humaniste ?

La présentation qui suit est le recueil des dernières recherches en cours. Elles suivent cinq grandes orientations, dans lesquelles se dessinent plusieurs pistes de projets.

Pour chaque projet, la recherche principale, qui permet le regroupement de tous ces travaux, est celle de l’humanisme. Plus que de mettre l’humain au centre du projet, il s’agit de permettre à l’usager, l’humain, de s’épanouir. Il est alors possible de penser à épanouissement sous plusieurs formes, dans plusieurs domaines. Il peut être intellectuel, physique, récréatif. Il est aussi parfois amené par des modalités d’usage d’un objet, en le simplifiant, en le guidant ou en le rassurant.

L’épanouissement, facteur principal qui détermine les choix qui sont présentés ici, est, à mon sens, rendu possible par cinq composantes. Ce sont des qualités humaines, plus particulièrement de la main et de sa mise à contribution dans une production :
   
    le raisonnement, la main reliée au cerveau,
    la trace, l’empreinte d’un geste ou de “l’outil-main”,
    l’haptique, la qualité d’appréciation ergonomique, de proximité,
    la maladresse, le bénéfice de l’erreur dans l’objet,
et l’opiniâtreté, la qualité à s’investir dans la production.

Idées "Zéro"

Première présentation des recherches à proprement parler. Ici, ce ne sont que des idées de base, des propositions qui ne demandent qu'à être complétées, requestionnées et améliorées. Cette étape me sert à mettre des idées sur du papier, à se donner une représentation sur laquelle il est plus simple de rebondir que les réflexions textuelles.

La grande aventure de la rédaction du mémoire

On y est ! Il est temps pour moi de rédiger le mémoire qui servira de support à la démonstration de la validité de mon thème et à une présentation des enjeux d'une intervention à la main dans les processus de conception et de fabrication d'un designer, en vue de définir une société plus humaniste.

La première étape a consisté en l'élaboration d'un plan détaillé qui me fourni un guide à suivre lors de la rédaction à proprement parler. En voici une ébauche, qui au fur et à mesure des corrections apportées au mémoire, est susceptible d'évoluer.

La société contemporaine peut-elle se définir plus humaniste grâce à ses objets s’ils sont produits à la main ?





Il est déjà établit que la dernière partie qui s'oriente vers la définition du projet sera injectée dans le mémoire sans former une partie à part entière. Les questionnements qui s'y trouve seront plutôt répartis dans les parties qui leurs correspondent. D'autres petites modification sont à l'ordre du jour, et seront disponible avec le corps du mémoire, très prochainement.

La fabrication du mémoire

Le mémoire est rédigé. Il me reste à le relier. J'ai fais le choix d'une reliure "dos carré cousu collé", mais je n'applique pas de couverture sur le tout. C'est à dire que mes pages de couvertures sont intégrées dans mes cahiers, de la même façon que le reste des pages. Ce choix me permet de rendre visible le travail de couture qui a été effectué, et mettre ainsi en valeur l'intervention manuelle dans l'objet lui-même, en correspondance avec le contenu de mon propos. Plusieurs sortes de papiers sont ainsi regroupées dans la centaine de pages, dans le but de donner un aspect tactile à l'objet, que le lecteur sente sous ses doigts les différences.

La couture :



L'encollage :


Le résultat :


La promotion du projet

C'est dans le cadre des portes ouvertes de l'établissement que j'ai réalisé plusieurs documents qui expliquent le projet et démontrent son bien-fondé. Un flyer permet de résumer le propos et de le diffuser. Une technographie accompagne les planches de présentation. Elle sert à ouvrir les pistes du projet en partant de fiches de matériaux, qui décrivent leurs propriétés, leurs caractéristiques et la relation entre la matière et les orientations des recherches. Le rapport de stage était également présent à cette occasion. Ce n'est pas à proprement parler un rapport de stage, de forme et de contenu conventionnels. Il s'agit plutôt d'un retour d'expérience, d'un compte-rendu orienté vers une problématique précise. J'en ai profité pour me questionner sur l'importance d'un réseau et d'un entourage polyvalent afin de mener à bien la production d'un designer indépendant. Car indépendant ne veut pas dire isolé. Une carte de visite venait enfin accompagner cette série de documents.